Entre deux eaux {Draärh • Sae}

En une belle est calme journée, sans missive quelconque mettant un trouble à sa quiétude, Dräarh, seul, se prélassait sous forme poissonneuse dans les eaux douces / salées de l'Estuaire de l'île Azur. Un bref instant de solitude était important pour lui, et le Nøkken avait besoin de s'accorder ainsi un peu de repos dans cette eau tempérée par les rayons du soleil qui se réfléchissaient sur les écailles des véritables poissons comme sur les pierres du fond. Cette sensation était divinement agréable, et il se sentait capable de passer des heures ainsi, camouflé, ne conservant qu'une conscience pour le rappeler parfois à l'ordre. Mais là, rien, le calme, nul ordre, nulle menace...

Ah, tiens ?

Un être inconnu de Dräarh, manifestement un Ondin -Curieux, aussi loin de chez lui, et dans ces eaux !-, batifolait avec joie. Étrangement sombre pour un représentant de son espèce, et d'un comportement curieux, la carpe noire resta un instant interdite, puis décida de ne pas se faire remarquer du reste de ses congénères à écailles. Il n'avait pas l'air de chercher une quelconque aide, son rôle s'arrêtant là, Dräarh attendait simplement qu'il parte pour pouvoir retourner à son état paisible et presque végétatif. Ou pas.

Manifestement trop voyant, intéressant, ou il ne savait en quoi, le représentant se sentit soudainement soulevé par les ouïes et par réflexe se débattit comme un poisson. Surpris de ce fait, il n'avait même pas vu venir le geste ! La sensation des doigts dans ses ouïes et d'être ainsi pris de panique animale, tout ceci était très, très fortement désagréable.

Ne comptant pas se laisse ainsi faire, par quelqu'un de son propre clan, le Nøkken, avec un peu de sang froid, et suffisamment rapidement pour ne pas finir assassiné par un innocent mal averti - Ce serait un comble ! De plus, il prendrait en mourant la forme d'un nénuphar, ce qui rendrait non seulement perplexe l'ondin, mais aussi le rendrait simplement "disparu" aux yeux des autres de son espèce, et cela était intolérable !-, se changea sous sa forme la plus courante, à savoir donc ce corps bipède et humanoïde. Auparavant pris dans la main de l'ondin nocturne, Dräarh était désormais plus ou moins "agrippé" à lui, toujours serré contre l'autre par son bras, mais cette promiscuité ne semblait pas le mettre mal à l'aise ou le gêner, oh ça non, il avait seulement l'air furieux.

- Ne rêve même pas à ça, jeune Ondin.

Il fallut quelques secondes au représentant des êtres aquatiques pour que la colère et l'outrage -Mais aussi une petite pointe de peur qu'il n'avouerait jamais.- laissent place à un air plus digne et stoïque.

-Celle ci, on ne me l'avait jamais faite !

S'écartant d'un battement de jambe de l'imprudent gourmand il lui laissa un peu d'espace, et réciproquement. Se couvrant de ses longs cheveux, il se laissa flotter sous l'eau sans mouvement, le regard sévère, attendant une quelconque excuse. Faire ça. À lui ! Il n'en revenait toujours pas, et se maudissait de son propre manque d'attention qui lui avait valu cette mésaventure.

Un peu plus calme, et malgré son désappointement et cet air des personnes importantes qui se sentent rabaissées d'être ainsi traitées, Dräarh, devant le côté presque attendrissant du jeune Ondin confus et qui bégayait, semblait changer d'attitude et de regard. Il paraissait moins menaçant, désormais, malgré ses caractéristiques inquiétants, et plus prompt à la discussion. Il parut même amusé ou narquois quand les yeux abysses de l'autre individu laissèrent voir qu'il venait de comprendre à qui il avait à faire. Enfin, il sembla de nouveau perplexe en voyant l'Ondin se tourner, faisant joliment danser ses voiles. Et bien, quoi ? Il ne pouvait le regarder en face ? Était ce par timidité, ou une autre preuve de sa maladresse ? Sous l'eau il était impossible de soupirer, mais Dräarh l'aurait fait si il avait pu.

- C'était en effet d'une maladresse consternante. Mais ce n'est pas si grave, le pire a été évité. Retourne toi donc et présente toi, et tu sera pardonné.

Le ton était plus doux et rassurant, comme si le Nøkken s'adressait à un enfant qui avait fait une bêtise. Touchant ses branchies, le représentant s'assura qu'il n'était pas blessé, et fut rassuré de voir que rien de ce traitement n'y figurait. L'incident était clos, en somme. Mais tout de même.
Enfin, il pouvait pardonner à un Ondin. Leurs mœurs étaient particuliers et de plus celui ci était déjà par bien des points étonnant, à rien ne servait de l'effrayer, et le représentant avait du temps à perdre. Ce n'était pas comme si il avait interrompu grand chose, avouons le.

Toujours impassible, et pour s'occuper coiffant de la main ses cheveux, Dräarh battait de temps à autre des pieds pour se maintenir au bon niveau. Changé sous cette forme, l'environnement était moins agréable, piquant et irritant, mais supportable. Il était étrange que deux créatures de mondes séparés puissent ainsi se rencontrer dans cette zone floues et confuse. Les probabilités étaient si faibles que la situation en devenait presque mémorable...

Sae... Un prénom sans genre, comme tout ceux des Ondins. "La Nuit". Il était notable qu'en effet ce nom était tout trouvé, pour un homme poisson aussi sombre. Néanmoins c'était là une belle touche de poésie, comme une sorte d'hommage à cette différence, de ce que le Nøkken pouvait interpréter. Au moins ces mots étaient sortis de la bouche de l'être marin sans hachures, et c'était tant mieux. Une attitude poli et déferante, mais sans inquiétude, voilà qui était bien préférable ! Dräarh ne comptait exercer nulle peur sur les gens de son propre peuple, et certes il s'était un peu emporté, mais au fond n'avait il agit que naturellement.

Avant de pouvoir enchaîner la discussion sur le banc de l'Ondin et sur sa venue ici, Dräarh fut devancé par la curiosité de Sae. Il tiqua, mais pardonna aussitôt : les jeunes étaient ainsi faits, cet Ondin n'avait pas dépassé les vingts années probablement, son empressement et ses difficultés à retenir des questionnements étaient même louables. Oui, il fallait vivre vite et découvrir vite, apprendre et appréhender sans se laisser voguer en océan connu. Ce sombre explorateur avait ce mérite aux yeux du Nøkken, car c'était pour lui une grande qualité.

-Oui je le peux, comme tout ceux de mon espèce je possède trois formes : une pour l'eau salée, une pour la douce, et une pour la terre ferme, en plus de ce corps, qui est ma forme la plus naturelle.

Avec un peu de fierté de pouvoir ainsi faire étalage de ses capacités -Dräarh avait l'orgueil comme défaut- il répondit. Enfin, au moins une réponse sincère terminait elle d'envaser le fâcheux événement, et le Représentant esquissa un fin sourire qui étira sur le côté ses lèvres noire pour la supérieur, d'un pâle olivâtre pour l'inférieur.

-Néanmoins la surprise est plutôt pour moi, que fais tu ici, si proche des terres, à chasser les paisibles représentants ?

Oh, cette remarque n'était qu'une plaisanterie, une petite boutade de la part de Dräarh, mais il n'était pas certain que cela soit très lisible sur son expression, malgré son sourire. Il était difficile en effet de lire des yeux dénués de pupilles, et le ton chantant et hypnotique du Nøkken ne transmettait que peu ses réelles émotions. Il pouvait d'ailleurs s'agir d'un petit test, pour observer la nature assez rare de l'Ondin. Courageux ou téméraire, aventurier timide ? Au moins le Représentant était diverti !

La référence à son impair fit immédiatement noircir ses joues, mais cela ne dura pas, malgré l'attitude pince-sans-rire de son interlocuteur. Il ne pouvait croire que le Nøkken le lui reproche encore après avoir répondu aussi spontanément à sa question informulée. Il s'était vite repris, et un sourire encore discret s'accrochait à ses lèvres pâles, répondant à son tour aux non-dits du représentant.

Je voyage.

Un léger battement de nageoires fit sinuer son corps dans un élégant ballet, cependant de courte durée. L'on pouvait croire à un effort volontaire pour renforcer l'effet de sa réponse courte, mais le Représentant ne put manquer l'ouverture de ses ouïes, rendue pourtant presque invisible par son camouflage efficace. Il reprenait son souffle, de manière à pouvoir répondre avec plus d'aisance.

C'est mon but. Je veux voir le monde. Connaître ses habitants, ses paysages. Le chanter à mes sœurs. Les yeux mi-clos alors qu'il en parlait, sa voix avait en effet quelque chose de chantant. Il releva le regard vers le Nøkken, un regard franc et joyeux. C'est la première fois que je me rapproche autant des terres.

Étrange, cette impression qu'il exhalait. Comme s'il était exactement où il voulait être et voyait ce qu'il avait besoin de voir. Mais sur l'instant, ce n'était pas les terres qu'il regardait, mais uniquement son prestigieux interlocuteur, celui qu'il n'avait encore osé nommer. Et l'éclat dans ses yeux allait au-delà de la seule curiosité. Malgré sa retenue, il ne pouvait s'empêcher de l'observer. Ses expressions, ses mouvements... Lui, et rien d'autre. Il l'admirait.

Cette réponse était pour le moins surprenante. Et même déstabilisante d'honnêteté et de candeur. Un aventurier, chez les Ondins ? Ce simple désir de découverte et de connaissance, cette motivation si pure et simple, presque humble en vérité, avaient une valeur précieuse et au delà du réel pour le représentant. Voilà bien longtemps qu'il n'avait pas entendu un discours aussi désintéressé ainsi porté par la joie de vivre, et peut être un peu de témérité et d'inconscience. Ou pas, c'était là après tout le commencement d'une vie menée par un rêve, ce qui était plus que louable. De plus ce Sae semblait déterminé -Presque autant qu'il l'avait été à le chasser-; ce qui marquait un étrange contraste avec son caractère retenu, son jeune âge apparent et cette étrange manière qu'il avait de le regarder, avec curiosité et pourtant sans oser parler.
Enfin, il savait pourquoi, il ne s'attendait pas à ce que son interlocuteur se sente trop libre et familier, ce serait un comportement très inconvenant !

- C'est un très bon rêve, je te souhaite que le monde soit à la hauteur de tes espérances. Mais prends garde, plus haut contre ce courant, tu risquerais de te sentir mal.

Déjà maintenant, Dräarh pouvait voir les difficultés, légères mais présentes, de son interlocuteur à respirer. Lui même trouvait l'eau lourde et acide, agressive envers sa peau lisse et tendre, habituée à un environnement plus clément. Mais il connaissait ses limites, et restait impassible. De plus il devait l'avouer, montrer un signe d'inconfort le gênerait devant le regard presque... admiratif ? Et curieux de l'Ondin abyssale. C'était une question de fierté, presque, mais aussi une épreuve de sa propre endurance et résistance.

Son visage ouvert laissa ses yeux se fermer légèrement alors que ses traits marquaient un discret sourire.

Je l'ai remarqué, je le sens. L'eau est... différente. C'est pour ça que... Ses yeux s'ouvrirent à nouveau pour révéler leur profondeur nocturne, légèrement troublée. ... je voulais savoir quel goût ont les poissons d'ici.

L'excuse resta muette, et le court silence qui suivit suffisant pour le signifier. Mais bientôt ses iris pleinement déployés brillaient à nouveau comme un ciel étoilé.

Je me le demande toujours.

Son sourire devint explicite et franc, son enthousiasme débordait sur ses mouvements quoiqu'ils restent sobres. Sa longue queue battait, le faisant se mouvoir avec élégance autour de son interlocuteur. Il ne pouvait plus faire de sur-place, sans pour autant s'éloigner ni forcer le Nøkken à se tordre le cou pour le suivre du regard. Le sien était toujours fixé sur lui, ne le perdant pas de vue un seul instant.
Malgré sa simplicité et son innocence, il était aisé pour le lacustre de voir qu'il n'était pas aussi naïf que l'on pouvait le croire au premier abord. Il était conscient d'une certaine noirceur et était prêt à l'affronter. Il embrassait ses découvertes, toutes ses découvertes, sans préjugé. Et les appréciait telles qu'elles se présentaient. C'est ainsi qu'il acceptait humblement son vœu, sans avoir besoin d'y répondre.

J'ai tellement de questions... ! Ses mains se frôlèrent, signe discret mais suffisamment significatif pour qui connaissait son univers. La première me parait si triviale...  Pendant le repos qui suivit, il préféra plutôt que de baisser les yeux, soutenir encore une fois le regard si particulier du Représentant.  Qu'est-ce qu'un Nøkken ? ... Qu'êtes-vous ?

- Ce que nous sommes... ?

Cette question amenait à tant de réponses possibles, de la plus courte au véritable discours, de la plus vague à la plus pointilleuse, de la plus fière à la plus humble, de la plus embellie à la plus objective... Et jamais Dräarh ne s'était vu poser une question telle, ou alors fut de cela bien longtemps. En cent quarante ans d'existence, la mémoire ne pouvait être infaillible et nombre de souvenirs étaient estompés ou oubliés dans une part ombreuse de son esprit, alors que d'autres pourtant tout aussi anciens ne s’effaceraient jamais. Un instant son regard vide laissa émettre une expression surprise et perdue, quand au pourquoi de cette question, mais il finit par prononcer une réponse qui donnait l'impression de s'être d'elle même échappé d'entre les lèvres fines et foncées de l'être des lacs.

- Ce que nous sommes. Plus grand chose en vérité. Peu, et inquiets, je pense que tu ne croisera jamais quelqu'un de mon espèce, aucun Nokken ne quitte de plein gré son lac, moi excepté. De plus, je ne pense pas pouvoir répondre rapidement à ta question, la culture entière d'un peuple ne se résume pas dans une discussion, au risque d'omettre tout ce qui en fait la richesse.

Si un sentiment sous-jacent mélancolique et même un peu de sécheresse dans son ton, étaient perceptibles comme pour couper court à la discussion ou au moins en changer le sujet, Dräarh, se reprenant un peu, sembla s'en vouloir d'ainsi couper dans sa lancée la joie de l'Ondin, et il reprit sur un ton plus léger et optimiste :

- Mais si jamais ce sujet t’intéresse vraiment, je pense que ce qui est le plus... Représentatif , est notre lien à la musique et à notre environnement, nous patagons cela avec vous. Si un jour nous nous revoyons, n'hésite pas à demander un air, je n'ai pas d'instruments sur moi, mais la réputation des Nøkkens comme étant les meilleurs musiciens des créatures enchantée n'est pas trop usurpée.

Il finit cette phrase par un sourire étiré dévoilant ses dents fines, nombreuses et effilées comme des rasoirs, et plissa quelques peu les yeux, avant de revenir rapidement à une expression plus neutre, mais toujours intéressée. Après tout, lui même côtoyait peu les Ondins, ils habitaient bien trop loin et ne l’appelaient que rarement, leurs propres coutumes, gestes, modes de pensée, le représentant n'en connaissait que la surface, et avait quelques difficultés à mettre des significations sur les comportements de son interlocuteur. Tant mieux ! Ainsi, la rencontre serait enrichissante pour eux deux. Tout ce qu'il comprenait, c'était l'empressement, l'enthousiasme et une très petite envie de tenir en place - le courant était clame, cela convenait parfaitement à Dräarh mais sans doute moins à Sae, qui ressentait le besoin de bouger.- Ce qui le faisait lui même le suivre par geste mesurés, économisant ses forces pour ne pas se fatiguer dans une eau trop riche.

- Et, en ce qui concernait ta venue ici et ta première interrogation... Je peux t'assurer qu'aucun des poissons qui nous entourent n'est un être transformé...

En effet, et ce du à l'attitude calme des deux êtres d'eau; les poissons de l'estuaire n'avaient pas peur de nager à un ou deux mètres de leur prédateur. Le Nøkken n'avait pas spécialement envie de manger, mais il ne voulait laisser le voyageur, dont les voiles mouvants lui faisant penser à une danse orchestrée minutieusement, sentir lui même la faim ou n'oser pêcher par peur de paraître impoli en face du Représentant.

Un sujet douloureux aux souvenir du Nøkken... Pourtant sa question n'avait pas vu aussi loin. Il ne savait tout simplement rien du Représentant et de son espèce, et apprendre leur nombre réduit l'attrista. Il s'en voulu un peu d'avoir ainsi manqué de tact, ignorant et maladroit. Le visage contrit, il répondit dans un premier temps d'une petite voix, que l'onde semblait étouffer.

Alors vous vivez dans des lacs...

Cette seule information situait la distance qui les séparait, la nature de l'eau dans laquelle ils respiraient, ce que leur vie leur permettait de voir. Si différents... Et pourtant, ils nageaient là, tous les deux, à la frontière entre terre et mer. Si différents, et malgré tout, si semblables...
La mélancolie qui avait envahi ses traits s'estompa un peu quand le Représentant mit l'accent sur un talent qui diminuait encore cette disparité. Un point commun non négligeable, qui redessina un sourire dans ses yeux.

Ca doit être beau... L'impatience et l'admiration était revenues. Sans aucun doute, il avait hâte d'écouter son interlocuteur entamer une mélodie. Nous n'avons pas d'instrument, seulement notre voix.

Présenté ainsi, cela en paraissait presque honteux, rétrograde. Pourtant c'était une fierté pour n'importe quelle Ondine, et il n'était pas le dernier à se réjouir des chœurs improvisés qui naissaient parfois au fond des océans. Tout cela était transparent sur son visage, et une idée pointait dans son esprit, sans qu'il ne songe un instant à la retenir.

Si vous jouez... je pourrais vous accompagner en chantant...

C'était autant une proposition qu'une question, même si l'intonation n'y était pas. Cette perspective, c'est certain, l'enchantait au plus haut point.
C'est ce moment que son regard choisit pour se fixer sur la dentition rendue un instant extrêmement visible par le sourire non dissimulé du Nøkken. Il l'avait déjà vu, sans s'y arrêter. Un sourire carnassier, en théorie, effrayant. L'observation avait interrompu un instant le ballet de ses voiles, qui reprit plus soudainement, même si le lacustre avait refermé la bouche. Il s'était rapproché vivement, d'un mouvement instinctif et fluide, son visage se retrouvant en un instant juste en face de celui de son interlocuteur.

Que vous avez de grandes dents... Admiratif, il l'était toujours autant, sans une once de crainte ou d'hésitation. Vous êtes sûr que vous vivez dans un lac ?

Les seules créatures qu'il connaissait pour avoir une telle dentition vivaient dans les grands fonds, et fondaient sur les proies imprudentes qui s'aventuraient trop loin. Il aurait pu faire le parallèle avec l'alimentation de chacun, mais sa conscience se réveilla.
Réalisant tout aussi brusquement sa proximité avec son interlocuteur, il voulut rétablir la distance respectueuse qui leur garantissait auparavant un certain confort. Son mouvement trop rapide bascula l'orientation de sa queue, qui frôla quasiment de tout son long le corps du Nøkken, en une vague caresse, rendue légère et volage par la présence de ses voiles.

Trop spontané, il calculait son manque de déférence, et son visage accusait le contrecoup de sa vive émotion. Il n'osait même pas répondre à l'aimable réplique qu'il avait presque interrompue, et qui ressemblait fort à une proposition pour se servir. Il essayait au contraire de se convaincre qu'il n'avait pas faim, alors même que ses pensées le dirigeaient vers une question de nourriture...
Il préféra se taire que de bégayer à nouveau. Il ne se rendait pas compte que son silence était également une sauvegarde. Ses ouïes s'ouvraient et se fermaient à un rythme trop rapide, sa tête commençait à tourner.

La situation commençait à devenir quelque peu... Inconfortable. Depuis la rencontre entre l'Ondin et le Nøkken, celui ci sentait en lui une pointe de malaise dont il ignorait la raison, et qu'il refoulait par respect mais aussi par rationalité. Il ne fallait pas se fier aux apparences, ce n'était pas à lui qu'il fallait l'apprendre, et le caractère de Sae était si en contradiction avec son physique sombre et cette première impression que celle ci fut vite oubliée par le représentant. Mais quand l'Ondin aux couleurs abyssales et à la longue chevelure à l'étrange apparence s'approcha de son visage, le noir lui monta aux joues, et l'espace d'un instant il perdit le fil de la discussion. Cette perte de distance avait été brusque et soudaine, de même que l'étrange caresse, subtile et légère, mais qui déclencha en lui un frisson. Durant ce temps Dräarh s'était quelque peu figé et sans trop s'en rendre compte, se tenait plus droit, les jambes prêtes à battre pour le faire reculer, au besoin.

Néanmoins il put se détendre et laisser cette étrange pression retomber, constatant le mutisme gêné de Sae, et les places désormais retrouvées. Cette fois celui ci ne se perdit pas en bégaiements maladroits, le représentant lui en était reconnaissait. Décidément, les mœurs de la mer... Les Nøkkens entre eux étaient peu être d'une politesse excessive, due à leur mode de vie solitaire, ils se rencontraient peu et étaient peu habitué au contact de parole comme physique, cette habitude laissait quelques restes en Dräarh, de manière visible. Mais mieux valait ne pas relever, et passer à autre chose. Ce serait mieux pour eux deux, n'était il pas ?

- Je...

Le temps de se souvenir du sujet -d'ailleurs étrange- de la discussion, il marqua un temps de pause, et traita les informations dans l'ordre, toujours un peu perturbé.

- Il est vrai que je n'ai jamais, en plus d'un siècle, entendu le chant des Ondines... Et Ondins. C'est tout de même une honte, n'est ce pas ? Malheureusement je ne pourrais retourner la faveur, du moins sans effets néfastes.

Malgré toute leur différence de statut, le Nøkken avait l'air désolé de ne pouvoir entièrement démontrer l'art de son peuple. Si entre eux ils pouvaient chanter tout les airs les plus beaux, les plus joyeux et les plus tristes, ils ne pouvaient en faite de même avec tout autre être vivant sans le charmer. Ce qui était une condition difficile pour profiter de cette musique. Néanmoins c'était là un don utile, Dräarh était bien loin de s'en plaindre !

- Néanmoins tu n'aura qu'à dire quel instruments vous préférez ou aimeriez découvrir, ce serait un échange déjà des plus enrichissants... Je dois avouer ne pas connaître plus vos coutumes que tu ne sais ce que je suis.

Avec de la difficulté dans la voix qu'il ne pouvait cacher, surtout en parlant autant -car Dräarh était un fieffé bavard -, celui ci du marquer une pause et passa sa longue et fine main ornée de palmes sur les ouïes de son cou, comme pour empêcher l'eau trop riche en minéraux et autres éléments de passer dans son système respiratoire. Après quelques petites secondes il reprit, l'air presque honteux de montrer signe d'inconfort. C'était flatteur tout autant que perturbant d'être en face de quelqu'un qui montrait autant d'enthousiasme et de curiosité, peut être même d'administration, face à soi.

- Je peux affirmer que je suis sûr de vivre dans un Lac. Nous y naissons, nous sommes le lac. Nous le sommes plus que nous sommes autre chose. Quand à ces dents, elles ne sont pas faites pour mâcher, mais pour couper, car les chaires terrestres sont parfois trop dures ou grosses pour être avalées...

Le changement de sujet était bienvenu, ce n'est pas lui qui allait le nier. Voir le Nøkken reprendre la conversation où il l'avait laissée était un soulagement manifeste. Maintenant qu'il avait repris le contrôle, il s'efforçait de ralentir sa respiration, sentant la débandade de son cœur, à un rythme même inférieur à la normale. Il économisait ses efforts, mais avait recommencé à bouger, regardant le Représentant de ces yeux sombres où pointait à nouveau l'émerveillement. Son attrait aux cultures étrangères avait eu raison de la réserve qu'il s'était imposée.

Néfaste ? Comment un chant pourrait-il être néfaste ? A moins d'avoir une voix horrible... Il  grimaça, son imagination lui faisant entendre un chant nasillard, clairement désagréable. Il se reprit bien vite, avec une franchise déconcertante. Et ce n'est pas votre cas.

Il était imperceptiblement plus proche de son interlocuteur qu'auparavant, celui-ci pouvait le sentir au mouvement de ses nageoires qui, sans le toucher directement, créaient des vagues sous-marines venant frôler son épiderme.

Je vous laisserai choisir... j'ignore quels instruments existent. Quoique légèrement en retrait sur ces paroles, il ne semblait pas avoir honte de ses lacunes. Il cherchait seulement à le combler. Ses lèvres ajoutèrent avec un petit sourire malicieux, comme un défi. Et j'aimerais vous entendre chanter.

Certainement, le regret du Nøkken lui apparaissait en filigrane. Sa curiosité également, quoique tous ces sentiments soient voilés, atténués par l'expression lascive de la créature. Quand le Représentant aborda le sujet du régime alimentaire, il dût se retenir de pouffer de le voir répondre aussi littéralement à sa question.
Ses doigts palmés s'écartèrent devant sa bouche pour cacher son excès de bonne humeur, faisant mine d'inspecter l'eau qui sortait de ses ouïes dans un geste similaire à celui qu'il venait d'observer. Il n'avait jamais mis en doute le fait qu'il vive dans un lac. Son sérieux avait néanmoins le mérite de préciser la manière dont il le ressentait. Un sujet qui lui tenait particulièrement à cœur. Il prit note de ne jamais en plaisanter.

Cela me rappelle les prédateurs des profondeurs. Même une Ondine peut être en mauvaise posture si elle se montre imprudente sur leur territoire. Au subtil étrécissement de ses yeux alors qu'il en parlait, il était évident qu'il avait connu pareille Ondine. Ca ne devait pas être beau à voir. Moi j'ai...

Il s'interrompit le temps d'ouvrir la bouche et tâter ses dents, de jolies petites quenottes en comparaison de celles du Nøkken, quoique toutes soient tout de même légèrement pointues. Une nécessité pour un carnivore en milieu sous-marin. Il ne termina pas sa phrase finalement, et referma simplement la bouche avec un haussement d'épaules. Il en riait.

C'est beaucoup moins impressionnant.

Le naturel de plus en plus libre et décomplexé de l'Ondin avait quelque chose d'agréable et de rafraîchissant. Le malaise était tenu, refoulé, et un amusement sincère le surpassait : en effet, ce n'était pas avec de petites quenottes comme celles ci que Sae allait pourrait effrayer ses proies ! Mais, en avait il seulement envie ? Mère nature donnait à ses enfants ce dont ils avaient besoin, nul besoin de plus, en réalité. Et avoir une dentition comme la sienne avait des avantages ! Notamment celle de ne pas faire fuir au moindre sourire, ou de ne pas se blesser soi même en se mordant la langue ou les lèvres - Les problèmes du quotidien des Nøkkens - De plus cela rendait ses mimiques et gestes comiques. Petit à petit, le faciès neutre et observateur laissait passer des émotions de joie, par de petits signes légers : un haussement de sourcil, un rire dans la voix.

- Je dois admettre que c'est... Moins menaçant. Mais par conséquent moins repoussant. Ces "créatures des profondeurs" n'ont pas l'air sympathiques, si elles avaient un plus joli sourire, elles auraient plus de proies... Non pas que je le souhaite à ton peuple.

Cetait une remarque asses maladroite, surtout au vu de l'expression de Sae contant la situation, mais dite sur le ton de l'anecdote et non celle de la menace. Le peuple des Ondines, de ce qu'il en savait, était absolument charmant, et avec des mœurs communes qui les rendaient, pour un Nøkken, plus sympathiques encore. Néanmoins, cette idée de musique commençait à tourner mal, si ils souhaitaient l'entendre chanter... Autant éluder le sujet, ne rien promettre. Il était déjà assez difficile de retenir les Humains et de ne prendre d'eux que leur argent, chanter devant trop de monde était presque... Dangereux, en réalité.

S'il perçut ou compris la dérobade du Nøkken, il n'en montra rien. Pas plus qu'il ne s'assombrit à sa remarque, que n'importe qui d'autre aurait pu trouver déplacée. Au contraire, de petites bulles s'échappèrent d'entre ses lèvres lorsqu'il rit de bon cœur, imaginant ces poissons avec un sourire de sirène. De vrais charmeurs, vraiment.

J'en doute !

L'extrémité de sa queue remuait joyeusement, faisant fuir les quelques autochtones curieux qui s'en étaient rapprochés. Il ne cherchait pas à cacher son humeur, malgré l'autorité en présence devant lui. Son rire faisait virevolter ses cheveux autour de son visage en ondes sombres qui contrastaient avec sa clarté. Ses yeux plissés en affinaient encore les traits, même lorsqu'il se calma suffisamment pour se rendre compte d'un picotement désagréable dans ses voiles.

Mais... Sa queue s'enroula sur elle-même, laissant ses voiles flotter harmonieusement autour. Il s'empressa d'en inspecter les contours. Ce n'est pas très poli, ça... !

Gardant dans les yeux le même rire qui avait précédé, il venait d'attraper un minuscule poisson rondouillet. Le représentant avait eu le temps de voir le fautif mâchonner ses nageoires. Maintenu dans la cage de ses doigts, il le sermonnait avec trop peu de sérieux pour vraiment croire à une réprimande.

Son sourire amusé, en forme de rictus narquois, ne semblait pas vouloir disparaître de son faciès pâle aux reflets olivâtres. Un Bouvière aux délicats reflets roses et vert semblait lui aussi intrigué par cet Ondin étranger... Ou tout simplement cherchait il a se nourrir des algues qui pouvait se trouver sur les voiles diaphanes de Sae. Celui ci se livrait à une comédie étrange, mais néanmoins ce pauvre petit poisson, au combien rendu sympathique par son ventre bedonnant, allait sans doute payer pour son audace. Du moins, c'est ce que Dräarh ferait si il l'avait entre les mains : l'avaler rond. Néanmoins il s'agissait de la prise de Sae ! Et il la lui laissait bien volontiers. Au vu du peu à manger dessus, de même...

- Joli prise... Pas bien nourrissant si tu veux mon avis, mais c'est un début...

Son regard sans pupille sembla se poser sur la chevelure sombre de l'Ondin. Enfin, s'agissait il bien de cheveux ? Pour le Nøkken lui même, impossible d'être sûr : entre le toucher glissant et étrangement lisse de ses cheveux et les joncs ainsi que les algues longues qui y étaient mêlées, sa propre crinière semblait presque plus végétale que capillaire, alors de là à définir celle d'un autre...

- Fais attention, si tu bouge peu tu en auras dans les... Cheveux. Et j'ai bien peur qu'ils restent coincés ! Enfin, ce n'est pas une sensation désagréable... Jusqu'à ce qu'ils grignotent.

Dräarh parlait d'expérience... Son propre corps était fluide dans l'eau, et recouvert naturellement d'une sorte de pellicule glissante -La paume de ses mains étaient une exception- que les poissons ne pouvait être bloqués, mais au pire emmêlaient ses cheveux. Néanmoins pour un être étranger... La Peau de Sae était bien plus écailleuse que la sienne, le Représentant retenait sa curiosité quand à son toucher. "L'embrassade" avait suffit !

C'est vrai que j'en ai mangé pour moins que ça...

Ces poissons n'étaient pas très différents de ceux qu'il connaissait dans l'océan, et il avait déjà expérimenté les mises en garde de son interlocuteur. Néanmoins, il avait l'esprit volage, et aucune intention meurtrière. Ses doigts se détendirent, et dans une maladresse qui paraissait autant feinte qu'authentique, il donna une pichenette dans les rondeurs du poisson, l'envoyant virevolter plus loin.

Oups...

Il aurait pu, en effet, lui faire définitivement passer l'envie de goûter autre chose que du plancton. Mais malgré la bénédiction accordée par le Nøkken, il ne le ressentait pas ainsi. Il se souvenait néanmoins d'un sous-entendu de ce dernier, mais tâchait de l'oblitérer. Il ne voulait pas - encore une fois - paraître impoli.

Ce sont de petits hôtes très utiles. L'océan en abrite aussi. Il rit. J'ai déjà fait l'expérience de leur maladresse.

Sa queue se déroula en une courbe élégante, mais plus que jamais elle ne semblait pas tenir en place.

Vous voulez nager ?

Se mouvoir dans l'onde mettrait avantageusement en pratique le conseil du Représentant. Il avait de toute façon besoin  de bouger. Cette gêne était pire s'il essayait de rester immobile, poissons ou pas, et il se mouvait continuellement. Cela lui ferait peut-être un peu oublier cette pensée récurrente...

- Nager ? Ce serait volontiers, mais je pense pouvoir affirmer que l'un ou l'autre de nous ne sera pas des plus à l'aise selon notre direction...

Le Représentant marqua un temps de réflexion, un de ses pieds palmés posé sur son autre jambe, à l'endroit du genoux, se laissant emporté légèrement par le faible courant. Il brisa cette posture pour battre des jambes, chaque mouvement le plus efficace possible pour épargner son énergie, et traça un cercle donc Sae était le centre. Ses longs cheveux sombres le suivaient en traîne et frôlaient le dos et les épaules de l'Ondin, mais le Nøkken n'y prêtait pas attention et ne s'excusa pas, il avait besoin de se dégourdir.

- À moi que nous ne tournons dans cette zone, ou bien que je me change pour te suivre dans l'océan. Ce n'est pas l'envie qui me manque. Néanmoins la discussion perdrait en richesse !

Sur une pointe d'ironie, le Nøkken en effet songeait aux difficultés de conserver son esprit dans un corps dénué de parole. Il ne connaissait rien de plus frustrant que ses métamorphoses qui, bien qu infiniment pratiques, le réduisait considérablement à l'état d'animal, chose qu'il haïssait. Il lui était plus agréable de rester dans l'estuaire, mais respectueusement du jeune esprit aventureux, il attendait une réponse, formant toujours des cercles de plus en plus impatients.

"Suis je rapide ?"
La réponse vint : il ne l'était guère.
Ou du moins pas autant que l'ondin, qui avant même que le Représentant ne parte, effectuait un gracieux saut dans les airs, avec aisance, le soleil faisant luire ses écailles malgré leur noirceur. Un instant il donna à l'être des eaux stagnantes l'impression qu'il volait, du à ses voiles qui mimaient alors des ailes. Le Nokk ne partit pas de suite, préférant profiter, amusé, du spectacle de cette personne si rare témoigner d'une non moins notable joie de vivre et vivacité.

Quand Sae le rejoint, il parti à sa suite, sous sa forme bipède d'abord, mais celle ci était lente et pataude, et ne servait qu'à posséder la parole et à tromper les humains. Ses longues mains palmées et ses jambes avec si peu d'articulations ne permettaient qu'une nage de loisir, mais Dräarh devait admettre qu'il préférait ce corps sur les autres, pour les raisons citées plus haut, et car il s'agissait de sa forme la plus naturelle, celle "réflexe".

Mais Sae commençait à s'éloigner par trop.
Si il l'avait regardé, l'ondin aurait pu observer la transformation inverse que celle qu'il avait eut l'occasion de connaitre plus tôt : Dräarh venait de se changer en carpe noire et resserrait la distance entre eux, jusqu’à rejoindre les cotés de l'ondin. Tournant autour de lui il ne pouvait exprimer sa joie autrement que par cette course folle et libre, dansant en silence autour de l'ondin, oubliant pour quelques instants sa fonction, ses manières, pour être ce qu'ils étaient tout deux : des êtres de l'eau dans leur élément, heureux de vivre, c'était tout.

"C'est pour ceux comme toi que j'ai dédié ma vie aux Naïdes. Puisse ta vie n'être que comme ce jour ci : aventure et plaisir."

Néanmoins il était épuisant de tenir la cadence pour une carpe sur un ondin, et Dräarh, emporté par le moment, décida de faire l'éventail de ses transformations à sa nouvelle connaissance.

Peut être un peu fanfaron, avouons le, mais il était ainsi. L'ayant dépassé d'un petit mètre, le Nokken pisiforme accompli à son tour un saut hors de l'élément aquatique en direction de la berge la plus proche. Mais avant de toucher la terre ferme, son corps s'étira et s’agrandit considérablement, passa, de manière presque indistincte, par la forme bipède, puis devint quadrupède et imposant, et c'était soudainement un cheval blanc à la crinière détrempée qui galopait sur la berge au même rythme que Sae nageait, suivant celui ci de ses yeux verts sans pupille, veillant à ne pas le perde, et à garder un contact visuel avec lui.

Le cheval éthéré hennit et suivit son invité qui s'engouffrait de plus en plus dans l'estuaire, puis accélérera pour le dépasser, puis se fit de nouveau rattraper, ainsi de suite, dans une véritable course, chacun rencontrant ses propres obstacles en chemin. Il était complexe de déterminer l'état d'esprit d'un cheval, mais qui avait un peu d'empathie pouvait sentir une joie sincère irradier de l'être aussi blanc que Sae était sombre.

Chacun de ses pas frappait le sol avec force mais sa course pourtant paraissait surnaturellement légère. Sa tresse était toujours présente dans sa crinière, ainsi que quelques algues et joncs, affirmant son identité, et son appartenance au monde aquatique. Dräarh aimait cette forme, fut-elle terrestre, pour la vitesse grisante qu'elle lui apportait. Avec elle, il se sentait inépuisable, et il ne pouvait que remercier Mère Nature d'avoir créer sa race de cette façon, si complète et unique.
Quel bonheur de pouvoir goûter aux délices du vent qui nous pousse et nous fait avancer, au gout des fruits, ou bien encore sentir l'odeur de le forêt si proche, ou même celle de l'océan... Et se sentir revivre d'une simple baignade.

Estimant néanmoins le besoin de revenir à l'eau, le Représentant poussa une dernière pointe de vitesse pour replonger, franchir la barrière aqueuse avant de se changer de nouveau, immergé, sous sa forme habituelle. Il rejoint l'ondin aux longs cheveux et lui répondit enfin, pourtant à bout de souffle :

- Alors ? Plutôt rapide, n'est il pas ?

Il fallait être honnête sur un point : Si Drâarh pouvait être plus rapide, c'était bien sur une courte distance, car l'ondin vivait dans un milieux plus vaste à celui du lacustre, où son corps s'était probablement adapté pour être endurant, comme il l'avait démontré au Nøkken. Mais il ne fallait pas oublier la fierté du Représentant, qui n'avait pas dans sa nature de laisser les "petits jeunes" gagner par sympathie. Bien entendu, tout cela restait dans le domaine de la taquinerie.

Le temps était à la joie simple et cela était oh combien rafraîchissant pour le Nøkken. Depuis combien de temps Dräarh n'avait-il pas eut envie de rire, de rire avec légèreté, sans une once de moquerie ou de sarcasme ? Depuis combien de temps ne s'était il pas senti jeune, enfant de mère Nature, porté par des émotions fortes et vivaces, vertes comme la jeune tige d'acorus ? Oui, depuis combien de temps n'avait-il pas agit spontanément ainsi, comme si il n'avait encore que cinquante petites années ?

Ceux de son espèce étaient prompt à la mélancolie et restaient dans leurs lacs aussi immobiles et végétatifs que les plantes marécageuses qui étaient leurs seules compagnes, attendant leurs proies sans autre désir dans leur cœur. Parfois ils semblaient plus légers quand ils se réunissaient pour chanter et danser, jouer ensemble les mélodies qu'ils partageaient et en découvrir d'autres. Le Représentant avait bon souvenir de ces fêtes, où ses pères l'amenaient. Mais cela faisait plus d'un siècle... Il se sentait parfois si âgé, sa mémoire pesait de trop nombreux souvenirs, et il était... Heureux de ne penser à rien de plus en ce moment qu'à ce jour présent et ce qu'il y faisait.

Dräarh avait toujours eut un tempérament quelque peu déviant, une certaine nostalgie le toucha, car il se rappelait avoir été très semblable à Sae. Cette même envie de découverte, cette même soif de vivre. L'ondin partageait avec lui aujourd'hui sa jeunesse et sa candeur.

Son compagnon de "jeu" lui réservait encore du spectacle, s'étant certes handicapé dans sa course -Ce qui impressionnait d'autant plus le Représentant. Il était évident en réalité que s'il ils avaient continué, il aurait perdu, et cela largement.- pour cela mais apparemment très fier de lui, puisqu'il libéra de ses voiles tant de flèches de couleurs virevoltantes que Dräarh ne savait plus où regarder. Tout ces petits poissons ressortaient particulièrement bien sur le fond noir que représentait Sae, dans un contraste intéressant de couleurs vives et sombres, d'ombres et de lumières, dans l'eau éclairée de soleil. Et Sae riait avec mélodie, de la manière la plus charmante qu'il lui fut permis d’entendre depuis bien longtemps.

Celui aux yeux luisant reprenait son souffle, à l'instar de l'autre, et ne perdait pas une miette du spectacle. Ils étaient plus avancés vers le milieu lacustre désormais, ayant remonté rapidement l'estuaire, et Dräarh appréciait de retrouver ce milieu adapté à son système respiratoire. Très égoïstement, il ne se posait pas encore de question quand à la santé de l'Ondin explorateur. Son environnement familier le mettait plus à l'aise, et il se sentait suffisamment en confiance avec Sae pour se permettre de se montre si "familier", si insouciant. Il était donc si perméable à la joie des autres ? Ou l'aura de l'Ondin était elle si exotique, si étrange qu'il se devait d'y réagir, heureusement avec positivité ? Les Nøkkens étaient de bien étranges créatures forgées par leur environnement, par la nature autour d'eux, après tout. Et il s'étonnait lui même.

Alors il rit lui aussi, portant une de ses longues mains palmées à sa bouche pour camoufler légèrement cet acte en dehors de ses habitudes. Ses yeux vides se plissaient, sans malice aucune.

Mais le sourire qui étirait ses fines lèvres et dévoilait ses dents particulière se fana. Il se sentait maintenant tout à fait mieux, mais pouvait encore voir chez son comparse les marques de son essoufflement. En étant même un peu plus attentif, il pouvait voir ses yeux : Les iris n'étaient ils pas auparavant plus fins, sous l'eau ? Il n'avait pas particulièrement pris le temps de le détailler plus tôt, mais quelque chose n'allait pas tout à fait.
Le Représentant n'était pas le plus coutumier des peuples des grandes eaux salées, mais il avait suffisamment d'années et de voyages à sa vie pour reconnaître que la situation pouvait être dangereuse. Ce qu'avait permis l'estuaire, ce goulot proche du lac ne le promettait pas. Il sentait sur sa peau la différence subtile de l'eau, les éléments neufs, ceux qui manquaient.

Mais pourtant il décida de ne rien dire. Il ne pouvait être sûr, après tout, Sae semblait ne se rendre compte de rien, et il ne souhaitait pas se montrer alarmiste. L'ondin souriait, riait, se montrait joueur et insouciant. Dräarh aurait aimé se sentir encore comme ceci mais désormais, pris d'une inquiétude, sans doute une déformation professionnelle, il ne se sentait plus si léger. Il feignait la joie et le calme, et, devant tout de même se mouvoir pour être à l'aise, retournait sur le chemin aquatique emprunté plus tôt. Lui pouvait se transformer, s'adapter, Sae manifestement pas. L'autre comprendrait il ? Le tout était de ne pas l’inquiéter inutilement, mais de ne pas se montrer irresponsable. C'était là son devoir, après tout.